LECFestival23 – La romancière Amélie Nothomb qui délivre avec un rythme de métronome chaque année un nouvel ouvrage, a reçu le Prix Jean Monnet 2023, remis durant le festival des littératures européennes de Cognac. Le Livre des sœurs, paru en août 2022, s'est vendu à plus de 160.000 exemplaires (donnée : Edistat). Derrière les mots des histoires, se cachent des anecdotes et des réflexions tout à fait uniques.
Le 19/11/2023 à 14:13 par Nicolas Gary
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19/11/2023 à 14:13
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Interviewée par la journaliste de France Inter, Patricia Martin, l'autrice révèle modestement que les prétendants n'ont pas manqué pour la débaucher de sa maison d'édition de longue date, Albin Michel. Cependant, elle reste loyale à la rue Huygens, un éditeur qui lui a permis de s'épanouir en tant qu'écrivaine — et où elle dispose de son propre bureau.
Née en Belgique, elle a vécu une enfance marquée par les déplacements constants en raison de la profession de son père. Cette existence nomade a forgé son caractère et son écriture, comme elle l'explique : « Mon enfance a été parfaitement heureuse, mais avec de très gros chocs. En tant qu'enfant de diplomate, tous les trois ou quatre ans, on perd tout : le pays où l'on vit, les gens que l'on aime. Ce n'est pas facile pour un adulte, et encore plus douloureux pour un enfant. » Un rapport à la séparation est devenu un thème récurrent dans ses œuvres, reflétant une profonde sensibilité.
Évoquant sa vie marquée par des événements décisifs, elle confie avec retenue que son départ précipité du Japon à l'âge de 5 ans a été un choc déterminant. Ce départ marqua le début de voyages qui l'a finalement ramenée en Belgique à l'âge de 17 ans, un pays où elle a pu finalement poser ses valises – et, forgeant sa première expérience européenne, devint un tournant dans sa vie.
Loin de considérer sa vie comme sombre, elle la qualifie plutôt de riche et belle, sans le moindre doute. Cependant, dès son plus jeune âge, elle expérimenta ces pertes successives, avec la certitude déchirante de ne jamais revoir les personnes qu'elle avait tant aimées.
Dotée d'une mère belge et d'une mère japonaise – sa nourrice, de fait –, elle avait une affection égale pour les deux. Mais cette expérience l'a confrontée à une phobie des séparations. Elle confirme que la seule réaction possible était soit de ne pas vraiment aimer quelqu'un, soit d'aimer excessivement. À chaque nouvelle rencontre, elle anticipait déjà la future séparation, ce qui provoquait en elle un attachement démesuré. Elle a dû s'habituer à vivre avec cette hyperémotivité qui a profondément marqué sa vie et son écriture.
L'écriture pour l'autrice est une expérience organique, un processus quasi mystique. Elle compare la gestation d'un livre à une grossesse, ne sachant pas exactement où elle commence, mais reconnaissant le moment où le livre « naît ». Elle confie : « Mes livres sont mes enfants, ils grandissent en moi de manière organique. Je ne sais pas dans quelle partie du corps commence la grossesse, je constate juste que le livre est né une fois qu'il est là. »
Elle évoque également la recherche phonique qui sous-tend son travail. Ses mots sont choisis avec précision, et elle admet ne pas pouvoir lire ses textes : sa voix intérieure laisse entendre un son grave, différent de sa propre voix, qui émerge de ses mots imprimés.
L'autrice assure que ses textes ne contiennent que peu de ratures, car ils se construisent, mentalement, pendant les nuits d'insomnie. Les retranscrire s'effectue naturellement. Mais quand le comédien présent effectue une lecture d'extrait, le trouble la gagne. « C'est une expérience terrible pour moi que d'entendre mon texte lu : manière d'assister à ce que je ne vois jamais, la réception de mon texte. Exaltant et curieusement gênant : je ne devrais pas voir ça, parce que c'est très intime… bien plus grave que de se voir dans un miroir : c'est voir les autres dans un moment intime où ils vous découvrent. »
Le caractère solitaire de l'écriture est également un point qu'elle aborde avec franchise. Elle a besoin de nombreuses heures de solitude chaque jour pour créer, mais elle recherche également la connexion avec les autres. Cette dualité est présente en elle depuis son enfance, où elle se réfugiait dans l'amitié de sa sœur lors de leurs nombreux déplacements à travers le monde.
Elle confie : « Il n'y a pas plus solitaire que l'écriture : j'ai de toute façon besoin de nombreuses heures de solitude par jour et dans le même temps d'être reliée, ce sont deux besoins équivalents en moi. Enfance au Bangladesh, le monde c'était ma sœur : sans elle n'y aurait eu personne. » Par la suite, les circonstances politiques n'étaient pas commodes, ni en Birmanie ni au Laos pour se faire des amis. Surtout que leurs parents avaient des sorties certes enrichissantes, mais plutôt déconcertantes : « Quelle étrange démence frappait nos parents que de nous amener visiter une léproserie ? »
Amélie Nothomb évoque avec humour son penchant pour l'écriture brève, qu'elle compare au punk par sa concision. « Je suis punk par la brièveté de ce que je fais. Dans une idéologie qui proclame qu'il n'y a pas de futur, pourquoi faire des œuvres longues ? C'est aussi difficile de faire court. »
Elle révèle avec ce même sourire : « Je n'ai pas créé de groupe rock, c'est un des grands regrets de ma vie. » Elle a toutefois laissé son talent s'exprimer à travers des textes de chanson. Certaines chanteuses sont même venues à elle pour solliciter ses paroles. Ces textes de chansons occupent une place particulière dans sa créativité, leur donnant une dimension poétique lorsque l'inspiration féminine l'envahit.
L'autrice confesse sa préférence pour la musique par rapport à la littérature, affirmant : « J'aime la musique beaucoup plus que la littérature, mais je n'ai pas l'once d'une compétence musicale. » En revanche, « la littérature demeure un adjuvant extraordinaire. Elle m'a sauvé du néant de mon adolescence, notamment. Bien sûr, elle ne peut pas tout régler, mais elle permet de poser des questions et de trouver des premières réponses ».
Elle évoque aussi sa relation avec l'Académie française, qui voudrait bien l'accueillir, peut-être, tout en revendiquant : « Suis déjà académicienne belge, et mauvaise. Laissez-moi être une mauvaise académicienne belge et pas mauvaise française. » Et puis, il existe une telle différence entre les deux : « En Belgique un jour, vous recevez un coup de téléphone et hop. Pour l'Académie française, c'est la cour de Louis XIV, et courtiser 40 immortels, ça m'a l'air très fatigant et suis pas du tout certaine d'en avoir envie. »
Amélie Nothomb partage des souvenirs de son enfance, marquée par des commentaires sur son apparence physique : « J'ai été traitée de petite fille laide, pas par mes parents, mais ma grand-mère — monument de méchanceté. » Elle évoque une remarque de son père faite à l'âge de 18 ans, qui a laissé une impression durable : « Mon père, un homme très gentil, m'a dit cette parole ambiguë quand j'avais 19 ans : tu ressembles à Marguerite Yourcenar âgée (hilarité dans la salle). » Cette déclaration énigmatique l'a longtemps intriguée.
Des années plus tard, avec du recul, elle réalise que cette remarque pourrait être interprétée comme un compliment, ce qui la fait sourire rétrospectivement : « des années plus tard, j'aurais pu entendre un très grand compliment dans cette déclaration.. J'ai eu envie de faire une prise de judo à cette phrase. » Elle exprime également la complexité des relations familiales et la nécessité du pardon en affirmant : « j'avais tellement de choses à lui dire, nous avions des choses plus belles à nous dire. Il faut savoir pardonner à ses parents. Je suis sûre qu'ils ne savaient ce qu'ils faisaient. S'ils avaient su ce que c'était que de me mettre au monde, l'auraient-ils fait ? »
Elle partage avec une touche d'humour l'expérience de l'écriture en cours : « je suis en train d'écrire le 108e, je ne sais pas si c'est bon, et même quand c'est trouvé bon par une personne, cela reste l'un de mes enfants. »
Et cette relation reste complexe : « Comme tous les parents, j'ai eu des phases de dégoûts pour chacun de mes enfants. Je suis une vraie mère, parfois je ne les supporte plus, avec l'envie de les jeter par la fenêtre. » Cette métaphore souligne la complexité de sa relation avec ses œuvres, qui, comme des enfants, peuvent susciter des sentiments contradictoires.
Crédits photos : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
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5 Commentaires
rez
20/11/2023 à 09:02
c'est pas pour cela que c'est à nous de nous les taper, boomer.
Aradigme
20/11/2023 à 09:47
Ceux qui clament "No future" se sont trouvé une excuse facile pour ne pas le construire. C'est simplement le camouflage de la lâcheté, de la fainéantise et de l'incompétence.
Bab
21/11/2023 à 20:33
Parfois il est inutile de penser.
Mme Nothomb qui pointe à 4h chaque matin comme un ouvrier pour accomplir son travail bien que cette dernière soit très bien rémunérée, me fait penser à certains auteurs du début 20ème diarrhétiques à souhait, dont il ne nous reste aucun souvenir.
Question de mode.
jujube
22/11/2023 à 21:05
Trois opinions de mâles certainement incapables d'écrire un roman et qui se vantent de leur ignorance. Ils tanguent sans doute comme ces critiques aux mots qui rabaissent - par envie ou bêtise? - les êtres, hommes et femmes surtout, plus doués qu'eux. Cracher son venin sur l'autre, quel plaisir!
Attention à l'effet boomerang...
Soizic
23/11/2023 à 18:34
Je comprends tout à fait ses propos.
Et au sujet de ses livres qu elle ne supporte plus je m amuse à penser qu'ils pourraient devenir des " yôkai "....